17 juin 2025
Deux histoires, une trajectoire
Voici l’histoire de deux familles unies par des valeurs communes. L’une a quitté Haïti pour échapper à un régime politique, l’autre s’est établie à Saint-Léonard et a développé une entreprise prospère dans le quartier de Saint-Michel. Quarante ans plus tard, d’une amitié née au cégep entre deux membres de ces familles, un programme conçu pour appuyer les dirigeantes et dirigeants de la communauté noire voit le jour à HEC Montréal. Voici la genèse de cette fabuleuse histoire.
Arrivé à Montréal à six ans, Wils Théagène s’installe à Laval avec sa famille, qui compte huit enfants. « Jusqu’à son décès, ma mère ne savait ni lire ni écrire », confie-t-il. Le foyer familial manque de moyens, mais il est riche en valeurs : « Comme le respect, l’intégrité et l’excellence dans l’effort. »
Après ses études, Wils constate que la couleur de sa peau influence les perceptions : « Ce n’est pas une idée inventée, c’est une réalité vécue, encore aujourd’hui. » Repoussant ces contraintes, il garde le cap. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir en tête la manière dont ses parents étaient perçus. « Une forme de jugement lié à leur situation financière et à l’absence de diplômes. »
Redonner à la communauté
Le parcours d’Éric Deschênes est lui aussi marqué par un attachement profond à ses origines et à sa vision volontaire de l’inclusion, inscrite dans les gestes du quotidien, et ce, depuis l’enfance.
« Quand mon père est devenu propriétaire de l’entreprise familiale, on habitait une maison standard de Saint-Léonard. Or, malgré l’essor de l’entreprise, au moment où mon père évoquait l’idée de déménager dans un quartier plus favorisé, mon frère François [ndlr : actuel président du Groupe Deschênes] et moi avons insisté pour rester à Saint-Léonard. On voulait faire partie d’une communauté plus large, en demeurant ancrés dans nos racines et nos valeurs. »
Cette réaction n’a sans doute pas surpris le patriarche. « Mon père était simple et humble. Et à une époque où c’était loin d’être la norme, l’inclusion des travailleurs, y compris des femmes, était naturelle. Ça fait partie de notre ADN familial et entrepreneurial. »

Du Cégep à HEC Montréal
Nous voici au milieu des années 1980. Wils et Éric étudient au même cégep, Marie-Victorin, dans l’arrondissement de Montréal-Nord. Toute naturelle, leur amitié se renforce durant un mémorable périple scolaire d’une semaine en canot-camping. Puis, classique des fraternités de cégep, les deux complices s’éloignent à la fin de leurs études.
Or, grâce au destin – et à HEC Montréal! – ils renouent contact début 2024, cette fois pour s’engager dans une nouvelle aventure commune, marquée par l’ouverture, la générosité et l’essor d’un programme aussi innovant que nécessaire.
Prochaine étape du Québec inc. : l’inclusion
Pour répondre au déficit de représentativité des groupes sous-représentés dans les sphères économiques, Wils Théagène a charpenté sa carrière en créant un environnement d’investissement favorable à l’émergence et au rayonnement d’organisations solides, issues de sa communauté.
Ce diplômé en génie chimique de Polytechnique et détenteur d’une maîtrise en finance appliquée fait d’abord sa marque chez Bombardier, 3M et Hydro-Québec. De 2017 à 2023, on le retrouve à la Caisse de dépôt. Il y pilote notamment un fonds de capital-investissement et de capital de risque destiné aux PME québécoises. Il profite de cette tribune pour réfléchir et constituer un modèle d’investissement ciblant des entreprises issues de groupes sous-représentés. Ainsi naît le Fonds Équité 253, entièrement dédié à la diversité et à l’inclusion.
De la réflexion à l’action
Fort de ces expériences et animé par la volonté d’aller loin, il fonde Citadelle Capital en 2023. « L’objectif est de créer une chaîne complète d’investissement pour la communauté noire, en mettant l’accent sur l’éducation financière et le mentorat pour favoriser l’émergence de grandes entreprises et de richesse au sein de ces communautés. »
Début 2024, au moment de lancer le fonds, Le Devoir publie un portrait de Wils Théagène, soulignant son parcours de fils de cultivateurs haïtiens jusqu’à la Caisse de dépôt. Chez Éric Deschênes, la lecture de ce même article ravive le souvenir de son ancien complice. Éric est notamment membre du CA du Groupe Deschênes, un réseau de 3 800 employés répartis dans 230 points de vente au Canada.
Sensible à la vision et aux aspirations de son camarade de cégep, l’article amène Éric à reprendre contact avec Wils. Son intention? Lui demander s’il peut l’aider. « Je l’ai alors mis au défi! », raconte Wils Théagène en riant.
Vision et valeurs communes
Éric Deschênes se remémore leurs retrouvailles : « Au-delà des bons souvenirs, je voulais comprendre sa vision, et j’y ai immédiatement adhéré. Nous partagions déjà plusieurs réflexions, notamment sur la nécessité de concevoir des formations mieux adaptées aux communautés. »
Quant à Wils Théagène, il est catégorique : « Investir dans l’essor de leaders issus de communautés sous-représentées n’est pas de la charité, mais une réelle occasion d’affaires et de croissance économique. En fait, il s’agit d’un investissement à la fois stratégique et bénéfique pour tout le Québec. »

Pour Éric Deschênes, l’ouverture et l’acceptation de la diversité sous toutes ses formes ont toujours été une source d’inspiration et d’enrichissement, et ce, à chaque étape de sa vie. Ce qui l’a d’ailleurs amené à œuvrer en coopération internationale, puis, en 2016, à se joindre au comité aviseur du Centre des familles en affaires DESCHENES | MOLSON | LESAGE de HEC Montréal. Dans cette foulée, il a aussi contribué aux programmes offerts par l’École des dirigeantes et dirigeants des Premières Nations, une autre initiative de HEC Montréal.
Depuis ses études, Éric Deschênes réfléchit aux raisons expliquant que « certaines personnes rejettent d’emblée d’autres personnes qu’elles ne connaissent pas ». Au point où défendre les collectivités immigrantes ou LGBTQ a forgé une partie de son identité.
Il raconte que le parcours de son ami Wils a amplifié ce sentiment. « Ce qui m’a touché, c’est de constater à quel point c’est difficile pour certaines communautés de bâtir de grandes entreprises. Je me suis demandé s’il existait une chasse gardée dans le Québec inc. Un non-dit qui freine l’évolution d’entreprises à fort potentiel de croissance et de retombées économiques. »

Pour un leadership inclusif
L’histoire et les réflexions du tandem suivent l’évolution d’un Québec plus accueillant à l’égard des communautés et des groupes sous-représentés. Or, la véritable inclusion se mesure également par son ancrage économique, toujours à bâtir.
Wils Théagène nous invite à fermer les yeux pour penser aux noms de leaders noirs à la tête de grandes organisations québécoises. Vous savez, ces entreprises qui génèrent richesse et inspiration? Celles dont la marque évoque succès, force et leadership? Combien de noms surgissent à votre esprit?
D’où cette volonté de tisser de nouveaux maillages avec l’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal, grâce au lancement de ce programme complet de 5 jours, destiné aux leaders de la communauté noire. Michelle Vaillancourt, directrice des communications et des programmes à l’Écoles des dirigeantes et dirigeants mentionne : « Nous sommes privilégiés de mettre à contribution notre expertise en développement de compétences et de codévelopper ce programme en leadership, stratégies et gestion, pour accompagner des leaders selon leurs besoins spécifiques. »
Un investissement stratégique
Personnellement marqué par les barrières auxquelles font face ces communautés et par le manque d’outils mis à leur disposition, Éric Deschênes croit que le meilleur investissement consiste à investir dans l’être humain. « L’ouverture à la différence, c’est une valeur essentielle qui transcende les frontières et les divergences, créant ainsi le tissu social de notre société. »
C’est ainsi qu’il met l’épaule à la roue pour faciliter financièrement une partie de la mise sur pied de cette certification, en plus d’y apporter son expertise. Quant à Wils, codirecteur de ce programme, il souligne qu’il s’agit beaucoup plus qu’une simple formation. « C’est une initiative stratégique pour réduire les inégalités systémiques et propulser des leaders noirs vers le succès, tout en générant un impact positif et durable. »
Le Pôle Ideos de recherche et transfert en gestion de l’impact social de HEC Montréal assure la direction pédagogique du programme. Son directeur, Luciano Barin Cruz signale que l’école a la responsabilité de bâtir un écosystème entrepreneurial inclusif et dynamique. « M’impliquer dans cette certification est une évidence, car je suis convaincu que le leadership et les stratégies d’affaires doivent être à la portée de chaque personne. Peu importe son parcours et ses origines. »
Ce qui s’annonce aussi palpitant, fondateur, et puissant en apprentissages qu’une semaine en canot-camping pour des cégépiens. Pour aller plus loin. Ensemble.

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