10 décembre 2024
Dans un contexte inégalé de tensions depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, on recense actuellement plus de 50 conflits armés sur la planète, bouleversant l’ordre mondial. Les entreprises doivent prendre en compte cette nouvelle réalité dans leur planification stratégique.
L’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal a organisé, le 13 novembre dernier, le Rendez-vous ED intitulé « Éthique et géopolitique : comment naviguer dans l’incertitude mondiale? », présenté par Dominique Anglade, professeure associée et coleader à la Direction de la transition durable de HEC Montréal.
Trois panélistes de renom ont enrichi la pensée collective sur les enjeux à surveiller et offert des pistes de réflexion pour évoluer dans ce contexte géopolitique complexe et incertain :
- Guillaume Callonico, premier directeur, Analyse transversale et géopolitique, à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ)
- Magali Depras, présidente et fondatrice de Magali Depras Services Conseils inc. et spécialiste des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance
- Jean-François Lépine, ancien diplomate, spécialiste de la Chine et de l’Asie, journaliste émérite, analyste géopolitique, PDG de Solix Globe inc. et chroniqueur international au 98.5 FM
Ils ont animé un débat riche, transmettant leurs connaissances et leurs expériences de manière positive, tout en offrant des pistes de réflexion et des clés d’analyse pour mieux se préparer au contexte mondial instable.
Une situation mondiale complexe
Dominique Anglade décrit d’emblée le présent contexte géopolitique comme complexe. L’ancienne politicienne et cheffe de parti rappelle qu’actuellement 50 conflits armés font rage dans le monde. Pour la modératrice du panel, l’année 2024 « a commencé avec plus de démocratie libérale qu’il n’en restera à la fin ».
Premier parmi les panélistes à prendre la parole, Guillaume Callonico a expliqué qu’auparavant les entreprises n’incluaient pas le contexte géopolitique dans leurs analyses parce que la stabilité était tenue pour acquise depuis de nombreux cycles économiques. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a marqué un tournant en soulignant la fragilité de cet équilibre. En réalité, ce n’était qu’un signal de plus. « Il y a eu plusieurs césures du droit international bien avant ce conflit », a affirmé l’expert.
Jean-François Lépine a ajouté que les gouvernements manquent d’expérience dans la gestion de cette nouvelle réalité géopolitique complexe. Il observe « une montée en puissance de régimes autocratiques » qui offrent à leur population des économies prospères, contrairement à l’époque de l’Union soviétique. « Les grandes démocraties ne détiennent plus le monopole du bonheur des peuples. »
Le journaliste estime que plusieurs pays ont franchi ce qu’il appelle les « lignes rouges », bien qu’elles aient été fixées par les grandes démocraties. Cela entraîne une érosion des valeurs majeures et des organisations internationales qui avaient maintenu un certain ordre depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce phénomène s’accompagne d’une insensibilité croissante face aux souffrances des peuples, alimentant un sentiment d’insécurité totale.
Ce contexte instable est jugé anxiogène par Magali Depras qui considère que, pour les entreprises, le maître mot est « risque ». Qu’il s’agisse de l’exposition à ce dernier ou de son accroissement, de ruptures de chaînes d’approvisionnement ou de l’inflation du coût des matières premières, de grandes entreprises ont dû se désengager de certains de leurs investissements risqués.
« Il existe tout un éventail de risques liés à la situation géopolitique, et les entreprises ne sont pas habituées à y réfléchir, a souligné Mme Depras. Elles doivent être réactives par rapport à cette crise, tout en étant proactives et capables d’anticiper, de mitiger ces risques et d’aller chercher de nouvelles occasions. »
Un contexte institutionnel en crise
Pour Jean-François Lépine, les organisations internationales sont en crise. Il cite l’exemple de l’élection de Donald Trump qui considère que les alliances affaiblissent les États-Unis et privilégie une approche transactionnelle pour résoudre les problèmes : « The Economist parle d’une “kakistocratie”, c’est-à-dire le pouvoir du pire. » C’est un reflet de ce qui se passe sur la planète, soit une perte d’influence des grandes organisations qui ont assuré la stabilité mondiale depuis 75 ans. De nouvelles émergent, comme les BRICS ou la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, puisque les régimes autocratiques peinent à exercer un contrôle suffisant sur les institutions traditionnelles.
Magali Depras parle plutôt d’une crise de confiance envers ces dernières. Selon les études réalisées par l’Organisation de coopération et de développement économiques, moins de la moitié des gens sondés déclarent avoir confiance en elles. Au Canada, le Baromètre de confiance Edelman place cependant les employeurs en position de choix : 76 % des personnes répondantes ont confiance en eux. Cela signifie que les entreprises ont donc une réserve de confiance sur laquelle elles peuvent s’appuyer. Des initiatives privées sont d’ailleurs prises afin de s’attaquer aux grands enjeux environnementaux et sociaux de notre époque, explique Magali Depras.
Guillaume Callonico croit de son côté que le manque de cohésion entre les organisations internationales mène à une fragilisation démocratique qui favorise les gouvernements nationalistes et le protectionnisme. Cela les pousse à privilégier les investissements intérieurs et à créer des incitatifs financiers pour attirer des investisseuses et investisseurs. « L’entreprise performante de demain sera résiliente sur les plans de l’énergie, de la sécurité et de la géostratégie », estime-t-il.
Comment redéfinir l’ordre mondial?
Malgré la gravité des enjeux, Magali Depras demeure optimiste. Elle croit qu’il nous faudra choisir le genre de société dans laquelle nous souhaitons vivre, nous questionner sur la place à laisser aux générations futures et tenter de nous mobiliser autour d’enjeux communs.
Elle plaide aussi pour une meilleure éducation des populations : « Nous ne sommes pas obligés d’être toutes et tous d’accord, mais il faut que nous prenions les décisions en connaissance de cause. Sur le plan des entreprises, cela signifie que nous devons penser à long terme, préserver nos valeurs et travailler ensemble, car ces grands enjeux ne seront pas résolus seuls. »
Pour sa part, Guillaume Callonico est confiant : « L’Amérique du Nord est mieux positionnée que les autres pour affronter la période de turbulences géopolitiques qui a commencé et qui va se poursuivre. » Il mentionne pour soutenir son point une série « d’exceptionnalismes que seule cette région cumule sur la planète » : géographique, soit le fait d’être bordée par 3 océans qui la protège des zones de conflits; énergétique, car elle est autosuffisante en la matière; démographique, étant l’unique « contrée développée qui continue à attirer massivement les immigrantes et immigrants ».
Ainsi, selon l’expert, « l’Amérique du Nord est un territoire plus immunisé de l’instabilité géopolitique » et devrait en général en être un où les entreprises pourraient repositionner leurs activités, orientations et investissements.
Le mot de la fin revient à Jean-François Lépine, qui a souligné l’importance pour les parties prenantes politiques d’assurer une cohérence entre leurs propos et leurs actions, ainsi que de bien comprendre les attentes de l’électorat. Il appelle à intégrer les enjeux environnementaux de manière plus dynamique dans nos processus, en les transformant en sources d’efficacité. Il préconise également de revoir la collaboration entre les gouvernements et les entreprises en consultant ces dernières pour les appuyer et leur soumettre une réglementation efficace. Enfin, il conclut en affirmant qu’il faut « commencer par soi-même pour rebâtir le monde de façon plus positive ».
Ce Rendez-vous ED a été possible grâce au soutien des membres fondateurs et partenaires de la certification en éthique et conformité de l’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal. Merci à la CDPQ, à Hydro-Québec, à la Commission de la construction du Québec, à Desjardins et à KPMG.
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