19 juin 2024
Qu’est-ce que les dirigeants ont à apprendre des différentes formes de leadership qui s’expriment dans le sport d’élite? Pour en discuter, l’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal recevait trois figures de proue de la scène sportive québécoise le 4 juin dernier : la championne du monde de boxe Marie-Eve Dicaire, le médaillé olympique en plongeon Alexandre Despatie et l’entraîneur des sœurs Dufour-Lapointe en ski acrobatique aux Jeux olympiques de 2014, Jean-Paul Richard.
Compte rendu de la discussion animée par Eric Brunelle, professeur titulaire au Département de management et directeur du Pôle sports HEC Montréal.
Le parallèle entre le sport et les entreprises est-il valable?
D’entrée de jeu, Eric Brunelle a demandé à ses invités si le sport constituait vraiment un bon contexte où développer des compétences en gestion des émotions, du stress, de l’énergie et de la performance, qui s’appliquent aussi dans le monde des affaires.
« Il y a beaucoup de parallèles à faire », dit Jean-Paul Richard. Tout va vite, dans un domaine comme dans l’autre. La préparation des athlètes en fonction des cycles olympiques s’apparente à la planification stratégique des entreprises. Les deux mondes ont donc intérêt à se parler.
Marie-Eve Dicaire considère pour sa part que son parcours sportif l’a parfaitement outillée pour l’univers des entreprises. Par exemple, son psychologue sportif lui a appris à réfléchir comme un GPS, c’est-à-dire à s’adapter rapidement aux conditions changeantes : « Lorsqu’il y a du trafic ou de la construction, illustre-t-elle, le GPS recalcule un nouveau chemin vers la destination » sans perdre ses moyens ni gaspiller son énergie en réactions futiles.
Pour une bonne gestion du temps, des efforts et de la performance
Afin d’atteindre un sommet de performance le jour de la compétition, l’athlète doit gérer efficacement son énergie. En entreprise, la gestion du temps joue un rôle similaire. Est-ce que les leaders devraient s’intéresser de plus près au dosage des efforts de leurs troupes?
« Il n’y a rien de plus subjectif que l’équilibre », répond Marie-Eve Dicaire. Le rythme de l’effort au travail, son intensité, le moment où prendre du repos : afin d’optimiser tous ces facteurs, il faut tenir compte des caractéristiques de chaque individu.
Pendant sa carrière d’athlète, Alexandre Despatie avait besoin de mettre le plongeon de côté toutes les fins de semaine et de vivre la vie d’un jeune homme ordinaire. « On me l’a reproché comme un manque de sérieux », confie-t-il. Mais c’est ce qui lui permettait de livrer ses meilleures performances à l’entraînement du lundi au vendredi.
« Vous ne pouvez pas puiser dans votre batterie de secours tous les jours », ajoute Marie-Eve Dicaire. Lorsque son équipe programmait des semaines d’entraînement plus léger pour lui permettre de récupérer et qu’elle faisait fi de leurs directives, elle en subissait les conséquences. « Je me suis blessée chaque fois! » Et maintenant qu’elle est à la retraite et qu’elle s’entraîne moins intensément, elle bat tous ses records personnels de vitesse et d’endurance.
Et lorsque d’aucuns ont questionné Jean-Paul Richard sur la pertinence d’amener ses athlètes jusqu’en Australie pour effectuer une poignée de descentes au début d’une saison, plutôt que de maximiser les heures d’entraînement une fois sur place, celui-ci s’est empressé de leur rappeler que la qualité du travail compte parfois beaucoup plus que la quantité!
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Apprendre de ses échecs
En entreprise comme dans le sport, l’échec est dur à avaler… À la différence près que les athlètes vivent leurs échecs et leurs succès sous l’œil du public.
Médaillé d’or aux Jeux du Commonwealth à l’âge de 13 ans, Alexandre Despatie a participé à sa première Coupe du monde quelques mois plus tard, face aux plus grands plongeurs de la planète. Il a terminé 17e, en se qualifiant tout juste pour les demi-finales. Cet échec a allumé une étincelle chez lui : « Il y a toujours du travail à faire, je peux encore apprendre. »
Marie-Eve Dicaire, elle, a subi sa première défaite en carrière contre la championne incontestée d’une catégorie de poids supérieure à la sienne. « Lorsque l’arbitre a levé la main de mon adversaire, je me suis dit que ma vie était finie », raconte-t-elle. Mais avec le recul, elle a changé son fusil d’épaule et s’est plutôt servie de cette mauvaise expérience comme d’un tremplin vers un second titre mondial. « La défaite, pour moi, c’est seulement une invitation à mieux recommencer. »
Sortir de sa zone de confort et accepter d’être vulnérable
Et parfois, le succès peut être plus dangereux que l’échec, si l’on s’en sert comme prétexte pour se reposer sur ses lauriers.
« En tant qu’entraîneur, souligne Jean-Paul Richard, lorsque je voyais la complaisance apparaître, c’était l’ego » qui se cachait derrière. L’athlète veut les accolades, les médailles, mais ne voit plus ce qu’il faut faire pour que la victoire ait un sens. Or, en entreprise, sortir de sa zone de confort signifie accepter d’être vulnérable. « Ce n’est pas facile! »
Pour Alexandre Despatie, non seulement faut-il apprendre à être vulnérable, mais choisir d’exprimer sa vulnérabilité peut être tout aussi important. « Ça fait du bien! » soulève-t-il.
Vaincre le syndrome de l’imposteur
Même les plus grands athlètes doutent parfois de leurs capacités, tout comme les quelque 70% à 80% de la population qui doivent composer avec le fameux syndrome de l’imposteur. Une des solutions? Reconnaître que si notre travail n’est potentiellement pas la seule cause de notre succès, comprendre et acquérir une mentalité de développement peut aider à justifier la valeur de nos contributions et changer le regard envers nous-même.
« En 2014, j’ai dû aider les athlètes à comprendre et à accepter ce que sont vraiment les jeux olympiques », signale Jean-Paul Richard. C’est-à-dire : une compétition qui se déroule sur une piste comme les autres dans un moment unique et pour laquelle il est possible de se préparer, d’être attentif à la qualité de nos actions et de notre progression, plutôt que de le voir comme un grand obstacle infranchissable.
Alexandre Despatie confirme que c’est la qualité de son travail qui lui a permis de court-circuiter, en partie, le syndrome de l’imposteur dans sa carrière médiatique. « Je n’ai pas fait d’école pour me retrouver devant vous, convient-il, mais je mets les efforts pour apprendre et prendre ma place! »
Une leçon qui s’applique à tous les milieux de travail : pour vaincre le sentiment de ne pas être à sa place, rien ne vaut qu’adopter un esprit de curiosité et focaliser l’attention sur la qualité de ses efforts.
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