
30 avril 2025
Nouvelle présidence américaine, menaces tarifaires, turbulences dans les chaînes de valeur, montée du protectionnisme: la structure économique mondiale se transforme sous nos yeux. Une situation affectant les entreprises d'ici, qui doivent repenser leur stratégie commerciale.
« Dans les années 80, le néolibéralisme et le multilatéralisme étaient les pierres angulaires du système économique mondial. Or, les tensions géopolitiques nous forcent à repenser le tout », a expliqué Philippe Bourbeau, professeur et codirecteur de l’Institut international de diplomatie économique HEC Montréal. Il mettait ainsi la table au Rendez-vous ED x IIDE intitulé « Tensions commerciales Canada–États-Unis : quelles stratégies pour nos entreprises? ».
Cet événement, organisé conjointement par l'Institut et l’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal le 27 mars dernier, a permis d'entendre le témoignage de spécialistes et d'entreprises qui doivent naviguer dans ce contexte mondial particulier.
- Robin Bernstein, ancienne ambassadrice des États-Unis en République dominicaine, présidente, Richard S. Bernstein & Associates inc.
- Jérôme Pécresse, chef de la direction Aluminium, Rio Tinto
- Anne-Marie Trudeau, présidente-directrice générale, Trudeau Corporation
- Pierre Seïn Pyun, vice-président, Affaires gouvernementales et industrielles, Bombardier
- Louis Bouchard, président, STAS et membre du QG100
- Mélanie Raymond, économiste en chef et directrice générale des relations économiques internationales par intérim, Affaires mondiales Canada
- Véronique Proulx, présidente-directrice générale, Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) - modératrice
« Le système tel que nous l’avons connu pendant des décennies se fragilise, s'effrite, mais autre chose se construit, observe le professeur. Aujourd’hui, où se dirige-t-on en termes de relations commerciales internationales? »
Les accords de libre-échange : un stimulant pour l’économie
Sur fond de remise en question de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), la preuve que les accords de libre-échange stimulent l'économie n’est plus à faire. « Dix ans après la signature de telles ententes, les échanges commerciaux se trouvent multipliés par trois », a expliqué Mélanie Raymond, économiste en chef et directrice générale des relations économiques internationales par intérim à Affaires mondiales Canada. Et l’ACEUM, renégocié en 2020, ne fait pas exception à la règle. Depuis, les exportations du Canada vers les États-Unis et le Mexique ont crû respectivement de 35% et de 38%.
Or, selon l’économiste en chef, même si l’ACEUM est très utilisé par les entreprises d’ici, il serait encore possible d’obtenir des épargnes tarifaires de 1,5G$ sur les importations provenant des États-Unis, et de 217G$ avec le Mexique. Des montants qui pourraient aider les organisations à réduire l’impact des hausses de tarifs. De plus, le Canada a conclu 15 accords de libre-échange à travers le monde, si bien que plusieurs possibilités existent. « C’est loin d’être facile, mais c'est justement la raison d’être de notre service de délégués commerciaux qui offre un soutien aux compagnies canadiennes pour défricher de nouveaux marchés », a fait valoir Mélanie Raymond.
Faire face au vent

« Aujourd’hui, l’incertitude est la seule certitude », a résumé Jérôme Pécresse, chef de la direction Aluminium chez Rio Tinto. En effet, cette entreprise – l’une des plus importantes productrices d’aluminium au monde – se trouve au centre du débat sur les tarifs. « La moitié de notre production mondiale est canadienne et provient principalement du Saguenay, mais aussi de la Colombie-Britannique. Et 80% de cet aluminium canadien est destiné au marché américain. »
Même si cela pourrait changer, comme les tarifs de 25% imposés sur cette matière par le gouvernement américain touchent tous les pays, le Québec demeure compétitif.
« L’aluminium, c’est de l’électricité sous forme solide, a illustré le chef de la direction, et notre hydroélectricité est très concurrentielle. Je m’épuise à rappeler à mes interlocuteurs américains que, lorsque nous leur vendons de l’aluminium, nous ne sommes pas en train d’exporter un produit subventionné par le gouvernement. On leur permet plutôt de bénéficier des avantages du bas prix de notre hydroélectricité. L’argument ne résonne pas beaucoup pour l’instant, mais j’espère que cela changera. »
Briser la dépendance

L’un des problèmes, a souligné Pierre Seïn Pyun, vice-président aux affaires gouvernementales et industrielles chez Bombardier, c’est la forte dépendance de l’économie canadienne par rapport aux États-Unis. C’est pourquoi il plaide, entre autres, pour l’instauration d’une politique industrielle. Cet outil permettrait de structurer l’économie et, ce faisant, de traverser la crise plus facilement. Un sujet tabou au Canada, selon lui, alors que plusieurs nations s’y mettent.
« Il y a un momentum actuellement pour élaborer une stratégie industrielle portant sur la sécurité nationale. Plusieurs secteurs pourraient être mis à contribution, comme l’aéronautique, les télécommunications, le domaine financier ou encore l’intelligence artificielle. Bref, il faut se demander dans quoi nous aimerions développer nos capacités souveraines. » En adoptant de telles stratégies, le Canada aura plus de poids sur les marchés mondiaux, plutôt que d’être seulement un maillon dans la chaîne de valeur, croit-il.
Les organisations présentes ont aussi plaidé pour un meilleur soutien gouvernemental et une renégociation rapide de l'ACEUM, prévue en 2026. De la même manière, les conférencières et conférenciers espèrent que leurs homologues américains oseront prendre la parole pour défendre leurs relations commerciales avec le Canada.
Se réinventer pour être plus solide

La crise actuelle est également l’occasion pour les organisations de se diversifier, non seulement en augmentant leur présence sur les marchés mondiaux et canadiens, mais aussi en termes de produits, a pour sa part expliqué Louis Bouchard, président de STAS, une entreprise présente dans une quarantaine de pays.
« Est-ce que nos compétences fondamentales sont transférables à d’autres secteurs, d’autres utilisations? Par exemple, nous sommes très centrés sur la production de machinerie destinée au secteur de l’aluminium, mais pourrait-on appliquer le tout au titanium, au cuivre, au scandium? Pourrait-on s’orienter vers le domaine naval? »
Une analyse que partage Jérôme Pécresse, qui estime aussi que son groupe minier pourrait se tourner vers l’exploitation de différents minéraux critiques, autre domaine où le Canada pourrait prendre une place plus importante sur l’échiquier mondial.
Agilité et résilience

Bref, dans le contexte actuel, l’agilité est le maître mot, pense Anne-Marie Trudeau, présidente-directrice générale de Trudeau Corporation. Cette entreprise conçoit ici des articles de cuisine et vend 60% de sa production aux États-Unis.
« C’est complexe puisque nos produits sont fabriqués en Chine et nos partenaires n’acceptent pas les tarifs imposés par les Américains et se retournent vers leurs fournisseurs pour absorber cette augmentation. Nous sommes donc en constante communication avec eux, ainsi qu’avec nos clients. »
La PDG explique aussi se préparer à différents scénarios. « Notre équipe élabore des plans et les améliore en continu. Il faut vraiment se montrer résilients, communiquer, écouter et appuyer nos employés et fournisseurs, qui sont certainement inquiets. Je reste convaincue que cette crise nous fournira plusieurs nouvelles opportunités. »
Conserver les liens entre les deux nations

L’ancienne ambassadrice américaine en République dominicaine, Robin Bernstein, a aussi pris la parole, soulignant d'abord l'importance de la relation entre les États-Unis et le Canada. « Même pendant les périodes de changements politiques et économiques, nous comptons les uns sur les autres et nous coopérons sur des sujets comme la sécurité nationale, l'éducation, l'investissement en commerce, le crime et les drogues, les défis climatiques ou encore les ressources naturelles. » Des piliers essentiels, alors que la diplomate a rappelé les liens économiques substantiels entre les deux pays, qui comptent des milliards de dollars d’échanges commerciaux.
Robin Bernstein a aussi souligné que le Canada et les États-Unis sont tous deux préoccupés par la dépendance envers la Chine, notamment dans les domaines des batteries et des minéraux critiques. « Nos nations ont plus de points communs que de différences et la collaboration est cruciale pour faire face aux défis mondiaux, particulièrement ceux posés par la Chine. » De plus, elle a recommandé aux entreprises canadiennes de travailler activement avec l'ambassade américaine pour faciliter leur entrée sur le marché américain, naviguer dans les complexités réglementaires et identifier les opportunités d'investissement et les risques.
L'importance de travailler ensemble

Bref, les conférencières et conférenciers ont livré un message de soutien et d'entraide et ont rappelé l’importance de travailler ensemble, a résumé la modératrice et présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), Véronique Proulx. « Dans toutes les crises, il y a des opportunités. Je souhaite donc que nous puissions saisir ces occasions pour assurer la résilience de notre économie à long terme. »
Ce Rendez-vous ED x IIDE a été rendu possible grâce au soutien d’Affaires mondiales Canada, de la Caisse de dépôt et placement du Québec, d’Investissement Québec et du Conseil des relations internationales de Montréal.

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