L’Asie, un marché à développer
05 novembre 2025
Entre la montée du protectionnisme, la guerre tarifaire et les tensions géopolitiques croissantes, le Canada cherche à redéfinir sa place dans le commerce mondial. Et tous les regards se tournent désormais vers l’Asie, cette région devenue le véritable moteur de la croissance économique planétaire. Reste à savoir : le pays saura-t-il y prendre pied durablement - et à quelles conditions?
Pour Ari Van Assche, professeur titulaire au Département d’affaires internationales de HEC Montréal et codirecteur de l’Institut international de diplomatie économique (IIDE), le virage asiatique est incontournable. « Pour le Canada comme pour le Québec, s’y engager n’est plus une option, mais une nécessité stratégique », a-t-il résumé.
Ces propos ont ouvert le rendez-vous ED x IIDE intitulé « Tensions commerciales : cap vers l’Asie, mais à quelles conditions? », tenu le 1er octobre 2025. Organisé conjointement par l’IIDE et l’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal, l’événement a réuni spécialistes, membres de la haute direction et d’anciens représentants du Québec en Asie autour d’une même question : comment tirer parti des opportunités économiques offertes par l'Asie sans ignorer ses risques? Il a aussi permis d’entendre les points de vue de :
- Mélanie Raymond, économiste en chef et directrice générale des relations économiques internationales par intérim, Affaires mondiales Canada
- Marie-Eve Jean, vice-présidente, Exportations, Investissement Québec International
- Jean-Pierre Ferrandez, président et fondateur, Indyeva
- Marc Leclair, président et directeur général, Emballage St-Jean
- Alexandre Bohbot, vice-président Marchandise, Dollarama
- Jean-François Lépine, ex-représentant du Québec en Chine et PDG, Solix Globe inc.
De nouveaux territoires à défricher
Bien que le Canada compte déjà quinze accords de libre-échange, qui lui donnent accès à 51 marchés et à 1,5 milliard de consommateurs, le pays poursuit ses efforts pour ouvrir de nouveaux débouchés. La nouvelle entente entre le Canada et l’Indonésie en est un bon exemple. Cet accord, qui devrait entrer en vigueur d’ici la fin de 2025, permettra aux entreprises de se positionner sur un marché de 280 millions de consommateurs, a souligné Mélanie Raymond d’Affaires mondiales Canada.
Le Canada fait aussi partie de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) qui regroupe douze pays comme la Grande-Bretagne, le Mexique et sept nations asiatiques. Depuis son entrée en vigueur fin 2018, le commerce des biens ou des marchandises entre le Canada et les pays signataires a crû pour atteindre 63,5 G$ en 2024. Néanmoins, le Canada dispose encore d’une marge de manœuvre pour tisser de nouvelles alliances commerciales, une partie des tarifs douaniers préférentiels inscrits au PTPGP n’étant pas encore pleinement exploités, a-t-elle expliqué.
Elle invite également les entreprises à suivre de près les discussions en cours entre Ottawa et l’Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) en vue d’un éventuel nouvel accord commercial. « Nous espérons que ces négociations, amorcées en 2021, se termineront d’ici la fin de l’année. » Une entente qui permettra d’ouvrir cinq nouveaux marchés, soit les Philippines, la Thaïlande, le Laos, la Birmanie et le Cambodge.
Le marché asiatique, entre défis et opportunités
Matières premières à faible coût, main-d’œuvre abondante, innovation : l’Asie attire les entreprises pour de multiples raisons. « La Chine constitue le deuxième marché d’exportation du Québec, après les États-Unis et ce, malgré toutes les tensions politiques et les enjeux géopolitiques », a rappelé Marie-Eve Jean, vice-présidente exportations chez Investissement Québec International.
Plus de 200 entreprises québécoises, comme Emballage St-Jean, sont également implantées sur le continent asiatique. « Environ 40 à 50 % de notre production est réalisée en Asie, mais 99 % de celle-ci est destinée à l’exportation - principalement vers l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Europe, les États-Unis et le Canada », précise Marc Leclair, président et directeur général.
Motivée par la disponibilité de la main-d’œuvre et les coûts de production avantageux, l’entreprise a ouvert une première usine en Chine en 2005, puis une seconde au Vietnam dix ans plus tard. « Grâce à nos équipes sur place, tout ce qui relève de notre contrôle fonctionne bien, dit-il. Mais les coûts cachés et la multiplication des audits gouvernementaux en Chine compliquent les opérations. C’est plus simple avec le Vietnam. »
Autre défi : certains clients - notamment en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis refusent désormais les produits fabriqués en Chine, même à prix égal. C’est d’ailleurs pour réduire ses risques que l’entreprise a ouvert une usine au Vietnam, puis au Mexique. L’entreprise produit aussi au Canada, aux États-Unis et en Angleterre. « Et nous regardons maintenant du côté de l’Europe de l’Est, toujours pour diversifier nos opérations . », affirme le PDG.
À l’avant-garde
C’est pour profiter de technologies à la fine pointe que la marque montréalaise de vêtements de plein air pour femmes Indyeva a décidé de centraliser sa production en Asie. Et elle n’est pas la seule alors que les plus grandes marques du monde font de même, explique Jean-Pierre Ferrandez, président et fondateur de l’entreprise. « Cela nous permet d’accéder aux mêmes équipements qu’elles, dont plusieurs ne sont pas disponibles ici. Cela garantit la qualité et la durabilité de nos produits. » Il rappelle aussi que 75 % des coûts de production demeurent canadiens.
« En Asie, on peut obtenir du très bon comme du très mauvais, poursuit-il. Toutes nos usines sont certifiées, puisque le côté éthique est très important pour nous. Mais, si on pousse trop sur les prix, les fournisseurs iront vers des sous-traitants à bas prix, qui n'est pas certifié », avertit-il. Lors de la guerre tarifaire entre Washington et Pékin, Indyeva a d’ailleurs choisi d’intégrer les droits de douane imposés par les États-Unis à ses prix de vente plutôt que de les refiler à ses fournisseurs. « Ce ne sont pas les travailleurs, les plus pauvres de la chaîne, qui doivent absorber ces coûts », souligne-t-il.
Le caractère novateur des fournisseurs chinois a également séduit Dollarama, dont une grande partie de l’approvisionnement provient de ce pays. « Ceux-ci proposent des murs entiers d’articles qu’on ne voit nulle part ailleurs - et qui évoluent sans cesse, ce qui les distingue de la concurrence », souligne Alexandre Bohbot, vice-président à la marchandise. Un atout de taille pour le détaillant canadien qui renouvelle 30 % de sa marchandise annuellement.
Cela exige une gestion fine de la propriété intellectuelle dans le processus d’approvisionnement, alors que la contrefaçon est courante en Chine. « Nos acheteurs sont sensibilisés à ces questions », dit-il. Les défis logistiques sont tout aussi complexes : « Nos articles proviennent de différentes régions de Chine. Chaque conteneur doit être optimisé, ce qui demande beaucoup de temps et de ressources. »
Pour Alexandre Bohbot, la réussite repose sur une vision à long terme. « Nous considérons nos fournisseurs comme des partenaires, non comme de simples manufacturiers. D’ailleurs, nous travaillons avec les dix plus grands d’entre eux depuis plus de quinze ans. » Une stabilité permettant de sécuriser les approvisionnements et d’offrir un avantage compétitif, surtout en période d’incertitude - un constat que partagent également Jean-Pierre Ferrandez et Marc Leclair. Pour réussir, il faut aussi garder l’œil sur les questions géopolitiques, alors que tout bouge rapidement dans ce coin du globe, conseillent-ils.
Naviguer sur l’échiquier mondial
Effectivement, la logistique et la géopolitique posent souvent des défis bien plus importants que les différences culturelles, confirme Jean-François Lépine, ex-représentant du Québec en Chine et PDG de Solix Globe. En effet, les tensions sont nombreuses, alors que Pékin menace d’envahir Taïwan, que l’administration Trump a lancé une guerre des tarifs ou que l’Inde s’est retiré des pourparlers d’accord de libre-échange avec le Canada pour des raisons diplomatiques. La réussite passe donc par une lecture fine de la politique.
« C’est précisément pour comprendre cette logique que les représentants gouvernementaux ou des chambres de commerce peuvent être utiles - même si on ne pense pas avoir besoin d’aide », a-t-il poursuivi. D’autant que le potentiel économique de l’Asie demeure immense, a-t-il rappelé, soulignant que la région abrite plusieurs des plus grandes puissances économiques mondiales - Chine, Japon et Inde - auxquelles s’ajoutent des marchés en plein essor comme la Corée du Sud, le Bangladesh et le Pakistan, tous marqués par une grande diversité culturelle et économique.
Les possibilités pour les entreprises y sont multiples, mais encore faut-il vouloir s’y engager collectivement. Toutefois, la présence québécoise s’est amoindrie en Chine, et les liens - comme celui entre Montréal et Shanghai - restent sous-exploités. « Dans les prochaines décennies, l’économie mondiale s’y développera à vitesse grand V dans une proportion jamais vue auparavant. Nous ne pouvons pas échouer », affirme Jean-François Lépine. D’où l’importance de convaincre les entreprises québécoises – et de les appuyer- de diversifier leurs marchés en tournant les yeux vers l’Asie.
Ce Rendez-vous ED x IIDE a été rendu possible grâce au soutien d’Affaires mondiales Canada, de la Caisse de dépôt et placement du Québec, d’Investissement Québec et du Conseil des relations internationales de Montréal.
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