
29 juillet 2025
Alors que certaines organisations jugent les politiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) essentielles pour attirer des talents, refléter la réalité et mieux performer, d’autres remettent en question leur pertinence et leur effet réel. Un sujet qui suscite les débats aux États-Unis, mais aussi ici.
Dans plusieurs secteurs, les pratiques en matière d’EDI sont remises en question, rappelle Sébastien Arcand, professeur titulaire à HEC Montréal, cotitulaire de la Chaire de recherche du Québec sur la situation démolinguistique et les politiques linguistiques et directeur associé au Pôle sports HEC Montréal. « Dans ce contexte, comment poursuivre les démarches tout en réfléchissant et en ajustant certaines pratiques inhérentes à l’EDI? »
C’est cette question qui a guidé les échanges lors du 5@7 de réseautage de l’École des dirigeantes et des dirigeants de HEC Montréal, le 12 juin dernier. Organisé sous le thème Éthique et EDI : perspectives croisées en temps de polarisation, l’événement animé par Sébastien Arcand a permis d’entendre les points de vue de :
- Murielle Chatelier, présidente de l’Association des Québécois unis contre le racialisme (AQUR)
- Tania Saba, Ph. D., CRHA, Distinction Fellow, fondatrice et titulaire, Chaire BMO en diversité et gouvernance, professeure et vice-rectrice adjointe au sein du Vice-rectorat aux ressources humaines et aux affaires professorales, École de relations industrielles, Université de Montréal
Attention aux dérives

Pour Murielle Chatelier, les politiques d’EDI, ou plutôt les moyens déployés pour les appliquer, mènent parfois à des dérives. Elle mentionne notamment les quotas raciaux imposés dans des universités américaines, interdits en 2023 par la Cour suprême dans un jugement qu’elle qualifie d’« historique. » Plusieurs étudiants asiatiques et afro-américains du groupe Students for Fair Admissions (SFFA) réclamaient d’ailleurs la fin de critères raciaux dans l’admission aux études supérieures, a-t-elle rappelé. « Pour eux, comme pour moi, la véritable égalité passe par le mérite, non par des quotas fondés sur la race. »
Elle cite aussi les cibles de représentation exigées d’ici 2029 chez les titulaires des Chaires de recherche du Canada, – 22 % de personnes racisées, 4,9 % d’Autochtones, 7,5 % de personnes handicapées et 50,9 % de femmes. « Le problème, c’est qu’on impose ces cibles aux chercheurs sous peine de leur refuser des subventions », a-t-elle affirmé.
La présidente de l’AQUR dénonce également le fait que certaines offres d’emploi seraient discriminatoires envers les personnes blanches, comme en font foi des plaintes déposées devant la Commission des droits de la personne. « Peut-on corriger des discriminations par d’autres discriminations », se demande-t-elle?
Murielle Chatelier a aussi pointé du doigt les formations en EDI qui manqueraient souvent de nuances en plus d’enfermer les gens dans des rôles de victimes et d’oppresseurs. Des généralisations qui, au lieu de créer des ponts, ont tendance à cristalliser les tensions. « Plusieurs études ont démontré que ces formations ne réduisent pas les préjugés, ne favorisent pas une meilleure collaboration, n'améliorent pas la rétention des employés, incluant celle des groupes minoritaires, et ne minimisent pas non plus les conflits sur le lieu de travail », a-t-elle affirmé.
Réorienter, sans rejeter

Si Tania Saba estime que ces politiques peuvent effectivement mener à certains faux pas, il faut faire une différence entre les principes derrière l’EDI et les moyens pour y arriver. En effet, corriger les sous-représentations est une chose, mais « ce qu’on oublie souvent quand on parle d’EDI, c’est qu’il faut rendre toutes les pratiques et les prises de décisions équitables dans les organisations. »
Elle compare d’ailleurs l’EDI à des lunettes avec lesquelles les organisations examinent chaque système pour vérifier s’ils sont équitables ou s’ils reproduisent des biais. Sans cette analyse, les moyens mis en place peuvent être incohérents.
De plus, la professeure a rappelé que les quotas, comme toute forme de discrimination, sont interdits au Canada. Il s’agit plutôt de cibles où la compétence est toujours prise en compte, a-t-elle nuancé. S’il est important de poser un regard critique pour améliorer ces pratiques, il serait injuste de rejeter entièrement les principes derrière l’EDI.
Pour une gouvernance plus inclusive
Selon Tania Saba, plusieurs arguments plaident en faveur d’une gouvernance plus inclusive, tant au niveau des conseils d’administration que des équipes de direction. D’abord, des instances trop homogènes favorisent un conformisme qui empêche la remise en question des décisions, comme l’ont montré les exemples d’Enron ou de scandales sexuels étouffés à l’interne. Plusieurs études montrent aussi que la diversité, combinée à des mécanismes de gouvernance inclusifs, augmente la performance économique, l’innovation et la durabilité, ajoute-t-elle.
Tania Saba affirme également qu’inclure des entreprises à propriété féminine à sa chaîne de valeur est intéressant économiquement, surtout que plusieurs œuvrent dans des domaines novateurs comme les FemTechs (technologies en lien avec la santé des femmes) ou les technologies vertes. Sans oublier que le fait de compter sur une équipe multiculturelle facilite la diversification des marchés, en mettant à profit les connaissances de ces travailleurs. Un atout à l’heure du conflit commercial avec les États-Unis.
Or, malgré ces nombreux bénéfices, il faut continuer d’intervenir pour augmenter la représentation des différents groupes dans les instances de gouvernance. « Le problème, c’est que le temps, seul, ne change pas les choses , résume Tania Saba. Si 77 % des conseils d’administration des sociétés canadiennes cotées en bourse comptaient au moins une femme en 2024, seulement 29,8 % des sièges leur sont attribués. Et dans les corporations canadiennes, on ne trouve que 21% de femmes dans les équipes de direction, une baisse par rapport à 2022. La situation est encore plus préoccupante pour les personnes autochtones, racisées ou handicapées.
Cette représentativité n’est pas qu’une simple question d’équité : elle fait partie des normes de gouvernance liées aux facteurs ESG (environnement, société, gouvernance), a poursuivi Tania Saba. L’absence de diversité peut donc freiner l’accès à certains financements ou fonds d’investissement éthiques, qu’on peut encourager par des règlements, des normes ou des initiatives au sein des organisations.
Briser les étiquettes
Bien qu’elle adhère aux principes derrière l’EDI, Murielle Chatelier appelle à briser les étiquettes raciales, de genres ou autres. « Une société juste ne juge pas en fonction de ces caractéristiques, mais selon les efforts, les actes, la dignité personnelle. Il faut sortir des logiques identitaires pour revenir à une justice sociale véritable, centrée sur l’humain. »
Conclure que toute sous-représentation d’un groupe – ethnique ou de genre – serait nécessairement la preuve d’une discrimination est, selon elle, un raccourci. Il serait donc pertinent d’approfondir l’analyse afin de comprendre les causes de ces disparités et de miser sur des cibles spécifiques à une industrie, plutôt que sur des données strictement démographiques. Murielle Chatelier fait aussi valoir que les politiques d’EDI ne prennent pas en compte certaines réalités, comme les conditions socioéconomiques, favorisant ainsi des personnes qui se situent en haut de l’échelle sociale. « La lutte contre l'injustice devrait viser à donner des chances à tous, peu importe leur origine ou leur statut social. Il faut favoriser l’égalité des chances, et non de résultats. »

Des discussions qui ont soulevé plusieurs réactions et questionnements de la part du public. « On parle beaucoup de safe spaces, ces endroits sécuritaires pour parler, mais c'est aussi essentiel d'avoir des brave spaces, des espaces de courage, pour réfléchir, remettre en question, faire progresser les choses. Et c’était courageux de nous offrir cette possibilité aujourd’hui », a conclu Sébastien Arcand. Des conversations parfois difficiles, mais importantes.
Cette conférence a été possible grâce au soutien du membre fondateur et partenaires de la certification en éthique et conformité de l’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal : La Caisse, Commission de la construction du Québec, Desjardins et KPMG; en collaboration avec la Chaire BMO diversité et gouvernance et la faculté de droit de l'Université de Montréal.

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