Rendez-vous ED x IIDE

9 juin 2025

Guerre des tarifs, fragmentation de la chaîne de valeur, montée du protectionnisme : alors que l’économie mondiale se transforme, les organisations doivent repenser leurs stratégies commerciales. Et si c’était l’occasion de raffermir ses liens — ou de bâtir des ponts — avec l’Europe?

L'ordre économique mondial libéral repose sur trois choses : la promotion de la démocratie, le libre-échange et l'importance accordée aux institutions et aux organisations multilatérales. Actuellement, à tous ces niveaux, il y a de la turbulence.

C’est dans ce contexte, où la résilience est de mise, que s’est déroulé le Rendez-vous ED x IIDE intitulé « Tensions commerciales : l’incontournable virage vers l’Europe? » le 21 mai dernier. Organisé par l’Institut international de diplomatie économique (IIDE) et l’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal, cet événement a permis d’explorer les relations commerciales outre-Atlantique en présence de spécialistes, de membres de la haute direction et d’anciens politiciens :

  • Pierre Marc Johnson, professeur associé, Département d’affaires internationales, HEC Montréal, et ancien premier ministre du Québec
  • Henri-Paul Rousseau, délégué général du Québec à Paris et représentant personnel du premier ministre pour la Francophonie
  • Daniel Labrecque, président-directeur général, DNA Capital
  • Véronique Tougas, présidente, Groupe Cambli
  • Olivier Marcil, vice-président aux affaires publiques et communications Canada, Alstom
  • Mélanie Raymond, économiste en chef et directrice générale des relations économiques internationales par intérim, Affaires mondiales Canada
  • Marie-Eve Jean, vice-présidente aux exportations, Investissement Québec International

Utiliser les accords commerciaux à leur plein potentiel

« L’Union européenne est le deuxième plus grand partenaire commercial du Canada, et ce, tant pour les biens et les services que pour les investissements », a rappelé Mélanie Raymond, économiste en chef et directrice générale des relations économiques internationales par intérim à Affaires mondiales Canada. Et les échanges bilatéraux sont passés de 99 à 162 milliards de dollars depuis 2016, à la suite de l’Accord économique et commercial global (AECG) entré provisoirement en vigueur en 2017, une hausse de 63%.

Or, 35% des organisations important des produits canadiens n’utilisent pas les tarifs préférentiels auxquels ils ont droit, note Mélanie Raymond. « On devrait toujours expliquer à ses clients européens comment aller chercher ces préférences tarifaires. Car s’ils peuvent récupérer 5% de droits de douane, c’est possible de négocier pour récupérer une partie de cette économie, ne serait-ce qu’un pourcent. »

Cet avantage ne se limite pas qu’aux échanges commerciaux avec l’Europe, puisque le Canada a conclu 15 accords de libre-échange, couvrant 51 marchés, a-t-elle rappelé. Pour les explorer, les délégués commerciaux d’Affaires mondiales Canada peuvent s’avérer d’une aide précieuse, a souligné l’experte. « Travailler avec ces spécialistes fait notamment augmenter de 20% la valeur des contrats. »

Collaborer avec l’Europe : un choix stratégique

Olivier Marcil

C’est pour consolider sa présence sur le marché nord-américain qu’Alstom, une entreprise française, a mis la main sur Bombardier Transport, en 2021. Un choix stratégique : l’Europe, où le transport par train est bien implanté, demeure son principal marché, mais la demande en Amérique du Nord devrait augmenter considérablement, le réseau ferroviaire y étant beaucoup moins développé, selon Olivier Marcil, vice-président aux affaires publiques et communications. Or, même avec un pied de chaque côté de l’océan, se positionner sur ces marchés peut être difficile. « Dans notre domaine, la proximité est très importante et la tendance est vraiment vers l’achat et la fabrication locale », a-t-il expliqué. Toutefois, les accords de libre-échange ont changé la donne, créant parfois des effets retors. Ainsi, certaines entreprises réussissent à remporter des appels d’offres au Canada, alors que leur participation contrevient, en principe, aux accords commerciaux en vigueur. « Nous sommes un petit pays qui doit continuer d'ouvrir ses frontières, mais il faut bien préserver les avantages des accords internationaux pour les partenaires commerciaux avec qui on a négocié ces ententes », avertit-il.

Véronique Tougas

De son côté, c’est pour diversifier ses marchés que Véronique Tougas, présidente du Groupe Cambli a décidé de tourner les yeux vers l’Europe et le Moyen-Orient. « Il y a deux ans, 80% de mon chiffre d’affaires était aux États-Unis. Je savais que j’étais à risque avant même de parler de tarifs. » Quand, elle a pris la tête de la PME spécialisée dans les camions blindés, en 2010, l’entreprise se concentrait sur le transport d’argent, un secteur qui s’est fortement consolidé depuis. Dans les cinq dernières années, Véronique Tougas a donc multiplié les efforts pour se diversifier en développant des véhicules pour les forces de l’ordre, tout en tentant de percer le marché français. Un défi, notamment à cause du protectionnisme dans ce domaine. « On s’est fait dire qu’on ne réussirait jamais à percer le marché si on ne trouvait pas de partenaire français, a-t-elle raconté. Nous avons donc approché l’un de nos compétiteurs pour voir si nos expertises pouvaient se compléter. » Cette alliance a été fructueuse et a permis à la PME de remporter plusieurs contrats au pays de l’Hexagone, mais aussi ici.

Marie-Ève Jean

Un travail de longue haleine qui demande temps et ressources aux PME, a souligné Marie-Eve Jean, vice-présidente aux exportations chez Investissement Québec International et animatrice du panel. « Heureusement, a-t-elle rappelé, nous avons tout un écosystème au Québec pour soutenir les entreprises québécoises vers de nouveaux marchés comme l’Europe. Il ne faut pas hésiter à en profiter puisque c’est leur raison d’être. »

S’allier, un geste stratégique

Daniel Labrecque

Pour diversifier leur marché, les entreprises se tournent souvent vers la fusion-acquisition, a observé Daniel Labrecque, président-directeur général de DNA Capital. En fait, selon ses données, 352 PME canadiennes ont fait une transaction transatlantique dans les trois dernières années. Pour réussir, plusieurs critères sont à considérer au point de vue de la rentabilité, mais aussi de la culture, différente d’un pays à l’autre, note-t-il. « C’est souvent beaucoup moins risqué d’établir un partenariat que de procéder à une acquisition. Et aujourd’hui, avec tous les risques géopolitiques, il faut vraiment choisir un pays ami, stable et prévisible. »

Henri-Paul Rousseau

Collaborer est aussi l’une des voies privilégiées par Henri-Paul Rousseau, délégué général du Québec à Paris. « Nous avons une chance extraordinaire, puisque quasiment toutes les grandes sociétés françaises sont présentes sur le territoire québécois. Le conseil que je donne donc à toutes les entreprises qui me consultent, c’est de tenter de devenir l’un de leurs fournisseurs. Car ces entreprises pourraient très bien vous amener dans leurs valises ensuite. » De la même manière, dans des secteurs stratégiques comme la défense, la sécurité, l’aéronautique, la cybersécurité ou la transition énergétique, il invite les entreprises québécoises à former des consortiums, en identifiant des partenaires de confiance, pour mieux se positionner sur les marchés publics et solidifier leurs chaînes d’approvisionnement.

Tabler sur la réputation du Québec

Pierre-Marc Johnson

L’ancien premier ministre du Québec, Pierre-Marc Johnson, estime que s’il existe certaines disparités dans l’application des ententes commerciales comme l’AECG, c’est parce que le pays n’a pas adopté de politique industrielle digne de ce nom. Une revendication portée par le Québec de longue date, selon lui. « Je pense que les choses vont changer compte tenu de la crise actuelle et de l’élection d’un nouveau premier ministre à Ottawa qui réfléchit depuis longtemps à ces questions et qui a jonglé avec les politiques économiques. » Selon Pierre Marc Johnson, c'est aussi l'occasion pour le Canada de tabler sur sa réputation pour raffermir ses liens commerciaux avec l’Europe, mais aussi pour rouvrir la négociation sur certains aspects, telles les barrières non tarifaires. « Comme le dit un vieux dicton, il n’y a rien comme avoir un adversaire commun pour se serrer les coudes. Il y a une forme d’adversité en ce moment devant la politique américaine, qui fait que c’est un moment charnière entre les pays européens et le Canada », a conclu l’ancien premier ministre. C’est donc l’occasion de bâtir une économie plus solide et plus résiliente.

Ce Rendez-vous ED x IIDE a été rendu possible grâce au soutien d’Affaires mondiales Canada, de la Caisse de dépôt et placement du Québec, d’Investissement Québec et du Conseil des relations internationales de Montréal.

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